Waldemar Kamer

Mises en scène d'Opéra



Notes de mise en scene

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Les trois versions d'Orfeo ed Euridice


“On ne peut plus parler d'autre chose, il règne dans toutes les têtes une fermentation aussi extraordinaire sur cet événement que vous le puissiez imaginer, c'est incroyable; on se divise, on s'attaque comme s'il s'agissait d'une affaire de religion.”

Marie-Antoinette (à qui Gluck avait dédié la version de Paris) à sa soeur Marie-Christine le 26 mai 1774

L'Ancien Régime dans toute sa splendeur: la marquise de Pompa­dour organise avec quelques amis italiens une loterie dont les gains permettent de faire construire l'Ecole Militaire et où l'on joue - dans la meilleure des traditions - avec des cartes truquées. Quand la supercherie est découverte, Casanova et Calzabigi quittent Paris dans la nuit. Le premier se console dans les bras de sa prochaine connaissance, le second écrit - pour des raisons jamais élucidées - un livret d'opéra, à Bruxelles où il s'ennuie fermement en tant que “conseiller spécial à la Cour des Comptes”. Par une succession de coïncidences, ce livret parvient dans les mains du comte Durazzo, le très compétent intendant des menus plaisirs à la cour de Vienne. Il y décèle immédiatement la matière pour une grande réforme de l'opéra à laquelle il songe depuis les lettres de Jean-Jacques Noverre publiées dix ans auparavant à Lyon et lues dans toutes les cours éclairées d’Europe. Le décorateur Quaglio et le maître de Ballet Angiolini sont déjà instruits. Il ne manque plus que le compositeur. Gluck est bien obligé de s'associer à cette “clique contre Métastase”, puisqu'une intrigue de cour l'empêchait de continuer à diriger l'orchestre impérial.

L'histoire de la création de ce fameux “opéra de réforme” (Reformoper) est plus que seulement aventureuse. Cette pierre angulaire de l'histoire de la musique a donc été esquissé dans une voiture de poste par un aventurier. Cette oeuvre “qui porta l'opéra seria à sa tombe” et qui ne se bornait plus - comme l'écrivit Gluck dans sa dédicace à la reine Marie-Antoinette - “aux froides beautés de la convention”, cette oeuvre qui tourna définitivement le dos à la manière de cour, a donc été créée le jour de la fête de l'empereur à Schönbrunn...

Comme le disait Romain Rolland, la force de la réforme gluckienne réside dans le fait qu'elle a été préparée pendant vingt ans par les Encyclopé­distes et leur “retour à la nature”. Orfeo ed Euridice n'est pas basée sur une intrigue amoureuse et politique et ne formule pas un compliment élégant à un souverain éclairé. L'homme avec ses doutes est pour la première fois au centre de l'hi­stoire. Gluck utilise le mythe pour l'humaniser exactement comme Wagner part cent ans plus tard de l'homme pour créer un (nouveau) mythe.

Malgré la grande popularité de l'oeuvre on s' est curieusement peu penché sur le drame de stations et d' initiation qui se situe sous la surface de cette “azione teatrale”. L'opéra de réforme cache une pièce de mystères, dans lequel on traverse des seuils, où l'on impose une “obligation de silence” (qui n'appar­aît pas dans la mythologie) et où des vibrations (musica­les) ou­vrent des portes et brisent des liens. Orphée devient le prophète qui proclame la réalité de l'invisible et ainsi un emblème de la condition d'artiste.

Généralement on parle de trois versions d' Orphée :
1) “L'italienne ou de Vienne” celle de la création en 1762,
2) “la version de Paris” (de 1774) et
3) celle de Berlioz (un patchwork des deux écrite pour Pauline Viardot).

Mais il y en a bien davantage : Les arrangements ne se comptent plus (de Kathleen Ferrier, Maria Callas jusqu' à Fischer Dieskau) comme les versions au temps de Gluck : La plus jouée était (selon Arnold Östman) la version de Parme de 1769, écrite à l'occasion du mariage de l'infant Don Ferdi­nan­do et de Marie-Amélie, soeur de Marie-Antoinette. La version la plus opulente est sans doute celle de Paris. Gluck a entièrement réorchestré l'oeuvre pour le ténor Le Gros (car la cour ne voulait plus de castrats à l’opéra). Il a ajouté les fameux “ballet des furies” et “des ombres heureuses” sur pression des syndicats (déjà fort puissants). Puis il a composé un air supplémentaire pour Eurydice et puis pour Amour, car les chanteuses lui faisaient des scènes...

Waldemar Kamer


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